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A l’entrée en maternelle, les enfants sont en découverte de leur corps et de celui du sexe opposé, c’est pourquoi il arrive que les adultes des établissements se retrouvent à traiter des cas graves d’attouchements. Où est la limite entre la découverte et l’agression ? A quel moment doivent-ils s’inquiéter ?

« Trois garçons m’ont forcés à leur faire une fellation pendant que d’autres regardaient ». Aujourd’hui Inès a 19 ans, elle a été victime d’agressions sexuelles par trois garçons en CE2. « Ça s’est passé pendant la récréation après la cantine, je n’ai pas osé en parler à un adulte car j'avais cette peur qu'on ne me croit pas ». Psychologiquement, la jeune femme subit encore les conséquences, « Les années qui ont suivi j’étais dégoutée des garçons, ma première fois je l’ai fait avec une fille car j’avais peur des garçons. Encore aujourd’hui je n’ai rien fait avec un garçon, même si je me sens prête je sais que je ne pourrais pas lui faire de fellation car ça me rappelle trop cette agression ». Des histoires similaires, il en existe des centaines.

Amélie, également âgée de 19 ans, s'est fait agresser en CE1. « On jouait aux garçons attrapent les filles, ils étaient trois, un garçon m’a attrapé et les deux autres me maintenaient. Le troisième a trouvé ça amusant de me chatouiller en bas. » Elle évoque des « blocages sexuels » toujours avec cette peur d’en parler à un adulte.

« Il a expliqué au garçon qu’il ne fallait pas le faire mais n’a pas prévenu ses parents »

Selon les chiffres de l’association Mémoire Traumatologique et Victimologie, en 2015 révèle que 21% des enfants victimes d’agressions sexuelles le sont avant l’âge de 6 ans. C'est-à-dire en maternelle pour les violences en milieu scolaire. C’est le cas de Lisa*, victime en moyenne section, « Ça s’est passé dans la classe, je jouais avec des copines quand le garçon est venu, m’a embrassé avant de lever ma robe devant tout le monde. Le maître n’a pas vraiment réagi, il a expliqué au garçon qu’il ne fallait pas le faire mais n’a pas prévenu ses parents. Je ne sais pas ce que le petit garçon aurait fait de plus si une amie n'avait pas prévenu le maître.» Par la suite Lisa explique que les parents ont été prévenu seulement car elle en a parlé à ses parents qui se sont plaints auprès de l’enseignant et de la directrice de l’école.

Les chiffres sont très incertains pour quantifier l’ampleur du sujet dû au nombre de victimes qui n’osent pas en parler ainsi qu’au nombre de cas pris à la légère et non signalés. De plus, les incidents entre enfants en bas âge ne sont pas comptabilisés dans les chiffres. Le Guide contre les comportements sexistes et violences sexuelles édité par le Secrétariat d’Etat chargé à l’égalité entre les femmes et les hommes contre les discriminations et le Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse, estime que les violences physiques en milieu scolaire représentent 58% des actes commis par des filles et 61% par des garçons. Les violences sexuelles, quant à elles, représentent 5% des actes commis par les garçons et 1% des actes commis par les filles.

2143 plaintes visent des enfants de moins de 13 ans

D’un point de vue juridique, 8,37% des plaintes pour violences ou harcèlement sexuels sont des enfants de moins de 13 ans, selon une enquête du Ministère de l’Intérieur publiée en 2018. « Peu de parents portent plainte, les adultes des établissements les dissuadent bien souvent car les plaintes n’aboutissent pas. Des enfants de maternelle ne peuvent pas être sanctionnés juridiquement et on ne va pas les envoyer en foyer pour des actes dont ils ne sont pas conscients pleinement de la gravité. » explique Noëlle*, ancienne avocate en petite enfance au barreau de Paris.

« Les 8% de plaintes qui concernent les enfants sont des agressions et des viols comme défini par le Code Pénal, mais le chiffre reste sous-évalué et puis comme je le disais les parents ne portent pas plainte pour des enfants aussi petits. »

Source :Ministère de l'Intérieur  - 2018

« On a posé l’interdit avec eux, on recadre ce qu’on a pas le droit de faire »

©Patrick Gherdoussi - Divergence Images

« Un petit garçon de grande section s’asseyait sur un banc et obligeait deux autres à lui mettre le zizi dans la bouche et à lécher ses fesses. » se souvient Valérie*, psychologue scolaire dans le Val d’Oise qui a traité un cas en octobre 2021 dans l’un des établissements où elle intervient. « La notion d’agression sexuelle n’existe pas pour des enfants de maternelle, on est pas en recherche de preuves comme ça peut être le cas au collège ou au lycée et les situations ne sont pas toujours claires chez les enfants de 4-5 ans, c’est compliqué d’assurer qui a fait quoi, qui est à l’origine. Il y a une perversion chez l’enfant de maternelle qui fait partie du développement mais qui n’a rien à voir avec la perversion d’un adulte. Bien souvent, ils ne sont pas conscients que c’est mal. »

Interrogé par le magazine MadmoiZelle, Emmanuelle Piet, la présidente du Collectif Féministe contre le Viol partage cet avis : « À trois ans, l’intentionnalité est difficile à définir. On ne considère pas avant 12 ans, l’âge où on peut être envoyé en prison ou centre éducatif fermé, qu’il y a une intention. À trois ans, on cherche à protéger. »

« On a posé l’interdit avec eux [les enfants], on recadre, on repositionne ce qu’on a pas le droit de faire. Le fait qu'on n'ait pas le droit de toucher au corps de l’autre, que le corps c’est son intimité et qu’on peut toucher à son propre corps dans des endroits où personne ne nous voit comme dans son lit, dans la salle de bain ou dans les toilettes. » continue Valérie. Les cas sont signalés à l’inspection académique qui choisit ou non en accord avec l’établissement de mettre en place des mesures.

Sollicités par plusieurs canaux de communication, le Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse et les inspections de différentes académies n’ont jamais donné suite pour plus de détails sur les procédures. Dans le cas des trois garçons, l’inspectrice référente de Valérie a énoncé le besoin de prévenir les services sociaux, « on parle là, des services sociaux interne à l’Education Nationale » continue la psychologue scolaire.

Sophie*, ancienne enseignante de maternelle en reconversion pour devenir psychologue scolaire est revenue sur ce qui est évoqué et appris durant les études concernant les cas graves. « Quand on veut signaler des cas dits graves, on a deux choix, si on estime qu’il y a un réel danger pour l’enfant “agresseur”, que les gestes sont une reproduction de ce qu’il a vu et/ou subi par un adulte, proche ou non. Si c’est un parent, on lance un signalement sans informer les parents. Pour le deuxième cas, c’est au jugement du psychologue ou des enseignants, si on est inquiet, c’est seulement une information préoccupante. »

Pour les trois petits garçons de grande section dans le Val d’Oise, Valérie a obtenu la genèse du « jeu du zizi » comme l’ont appelé les enfants. « C’est quelque chose qu’il [l’initiateur] avait vécu avec son grand frère quand il était plus jeune, il reproduisait ce qu’il a vécu, il n’a pas vu ça sur internet, je n’ai pas eu l’impression qu’il soit en danger au niveau familial ou qu’il ait subi quelque chose avec un adulte »

Au niveau de l’établissement et de la mairie, il a été décidé de retirer la table où les actes avaient lieu. Quant aux enfants, une psychologue externe à l’école a été appelée pour un suivi psychologique.

©Laurent Carre - Divergence Images

4 Questions à : Valérie, psychologue scolaire dans le Val d'Oise

Avez-vous déjà été face à des cas graves ?

J’ai eu un cas dernièrement qui allait assez loin, un petit garçon  de grande section s’asseyait sur un banc et obligeait deux autres à lui mettre le zizi dans la bouche et à lécher ses fesses. Il y a une perversion chez l’enfant de maternelle qui fait parti du développement mais qui n’a rien à voir avec la perversion d’un adulte.

Où commence l'inquiétude ?

Quand il y a contrainte ça devient plus embêtant mais dans ce cas là, il faut discuter et expliquer. Suite à cette situation, je suis intervenue en classe avec un livre et une photo d’un petit garçon qui fait un bisou à une petite fille et on voit qu’elle est pas contente pour expliquer. On recadre, on repositionne ce qu’on a pas le droit. On le pose à l’école, le fait qu’on ai pas le droit de toucher au corps de l’autre, que le corps c’est son intimité et qu’on peut toucher à son propre corps dans des endroits ou personne ne nous voit comme dans son lit, dans la salle de bain ou dans les toilettes.

Est-ce que la notion d’agression sexuelle peut être employé pour des enfants aussi jeunes ?

Non, il n’y a pas de notion en maternelle d’agressions sexuelles donc on est pas en recherche de preuves comme ça peut être le cas au collège ou au lycée et les situations ne sont pas toujours claires chez les enfants de 4-5 ans, c’est compliqué d’assurer qui a fait quoi, qui est à l’origine. Dans le cas, j’ai reçu les trois enfants séparément, ils appelaient ça le « jeu du zizi » qui a bien été inventé par l’incitateur mais ils pouvaient exprimer en entretien que parfois c’est les autres (les « victimes ») qui avaient voulu jouer au jeu à des moments où lui (l’instigateur) n’avait pas forcément envie de jouer. Les rôles ont tous été un peu inversé à un moment où l’incitateur devenait victime et inversement. On a posé l’interdit avec eux.

Comment est-ce que ça se passe pour signaler un cas ? Il y a t’il plusieurs degrés de gravité et comment est géré la suite d’un cas ?

Quand il y a une situation comme ça on se réfère à l’inspection académique. Dans le cas présent, l’inspectrice m’a expliqué qu’il fallait saisir les services sociaux, on a des services sociaux interne à l’Education Nationale. Elle m’a aussi donné des ressources. Dans le cas des trois petits garçons, je suis restée dans le cadre de l’école avec finalement des mamans rassurées parce qu’on a mis en place des mesures pour la sécurité des enfants. C’est-à-dire qu’on a renforcé la surveillance de la cour de récréation en rajoutant des adultes, on a retiré la table où tout se passait selon les enfants. On a également changé le premier incitateur de classe même si ce n’était pas obligé et à côté de ça les trois enfants sont tous allés voir un psychologue externe à l’école. Finalement, on a eu des parents qui se sont sentis rassurés, entourés etc.

« Quand on doit traiter un cas, les enseignants se débrouillent beaucoup par eux-mêmes, ça va être leurs recherches internet principalement, on nous donne peu de ressources. » Valérie a reçu de la part de l’inspectrice académique uniquement le lien vers un webinaire de 7h45 qui aborde différentes questions autour du comportement sexuel chez l’enfant.

« Je me suis débrouillée pour trouver des ressources comme les livres de Catherine Dolto, par exemple 'Dire Non' ou 'Gentil Méchant' ».

Le Docteur Catherine Dolto a publié une collection de livres appelée Mine de Rien et destinée aux enfants en bas âge où sont abordés différents thèmes comme la question du respect du corps. Les livres sont illustrés par Colline Faure-Poirée.

©Catherine Dolto et Colline Faure-Poirée

©Marie Challan-Belval

« Pendant les études, on nous explique les situations mais pas les ressources qu’on pourrait utiliser si on se retrouve confronté à des cas. Personnellement, je me suis un peu renseignée quand on a abordé le sujet et j’ai trouvé quelques livres comme les Dolto ou Petit Doux n’a pas peur de Marie Wabbes » continue Sophie dans son témoignage.

« J’ai aussi trouvé des vidéos sur internet, il y en a une qui m’a marqué c’est Marie Challan-Belval qui explique le consentement directement aux enfants avec des dessins animés. Elle a aussi fait un podcast sur le sujet que j’ai adoré. »

Le site violences-sexuelles.info publie une série de podcasts sur la prévention des violences sexuelles qui peut être utilisé par le corps enseignants mais aussi par les parents pour prévenir les agressions.

*Les prénoms ont été modifiés

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